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Dijon, Auditorium, le 26 novembre 2016, par Eusebius ——

Éblouissant Thomas Enhco & Co

Thomas Enhco et Vassilena Serafimova. Photographie © D.R.

Pour avoir eu la chance d'écouter Thomas Enhco, en juillet dernier, au Festival Radio France-Montpellier, je ne voulais en aucun cas rater son passage à Dijon. Il me souvient qu'il s'était distingué comme le meilleur brahmsien d'une soirée où de grands noms partageaient le programme. Bien m'en a pris.

Même si, dès les origines du jazz, les passerelles avec le classique furent nombreuses, il était exceptionnel que des interprètes osent franchir la frontière. En 1956, Benny Goodman jouant Mozart faisait figure d'exception. Heureusement, les temps ont changé et les cultures se sont mutuellement enrichies, jusqu'à fusionner chez Thomas Enhco, nourri à ses deux seins. Appartenant à la cinquième génération de la dynastie Casadesus, avec Jean-Claude pour grand-père et Didier Lockwood comme beau-père, pouvait-il en être autrement ? Artiste complet, compositeur, improvisateur, pianiste, rayonnant avec autant de maîtrise et de talent dans tous les répertoires, il nous offre ce soir un programme en deux parties, la première en duo avec Vassilena Serafimova au marimba, la seconde en trio avec Nicolas Charlier, à la batterie, et Jérémy Bruyère à la contrebasse. De façon inattendue, la jeune Bulgare se joindra aux trois compères pour le bouquet final.

De leur album « Funambules », sorti en avril dernier1, le duo, formé il y a sept ans, commence par Eclipse. Une belle ballade aux airs d'improvisation introduit, ô surprise, une fugue dont le sujet est énoncé au piano. C'est celle de la première sonate pour violon seul BWV 1001 de Bach, revue, amplifiée, colorée à souhait par Thomas Enhco. La magie opère, tout Bach est là. La superbe réécriture lui confère la puissance et la dynamique d'une fugue pour orgue. Pantalon noir et veste crème à paillettes, la véritable chorégraphie de la percussionniste impressionne par sa virtuosité. Le mariage des deux instruments atteint la perfection. L'allegro con spirito de la sonate en pour deux pianos K. 448 de Mozart confirme cette excellence. La joie rayonne et les traits échangés traduisent à merveille l'entente des deux complices. On regrette seulement que la reprise de l'exposition n'ait pas été jouée, nous privant de ce plaisir renouvelé. Signs of life, de Zimmerli, commence  comme une romance aux harmonies changeantes, très souple mais forte aussi. Ample pièce qui n'est pas sans rappeler les néo-minimalistes, le lyrisme en plus. Les Variations sur un chant traditionnel bulgare de Dilmano Libero, sont un sommet : la voix des deux musiciens, parfaitement maîtrisée, sur les batteries, piano, du marimba est émouvante. Le thème à la métrique singulière va ensuite prendre toutes les apparences, traditionnelles, jazziques, avec une rare richesse d'invention, pour entamer une progression paroxystique, tellurique, puis retrouver la pureté initiale, en chant dialogué. Un grand moment. L'« Aquarium », septième pièce du Carnaval des animaux de Saint-Saëns, est un régal. Les musiciens ont préparé chacun des instruments avec un ruban adhésif qui va en modifier la sonorité. Les couleurs sont plus séduisantes que jamais, proprement inouïes : on oublie le célesta original. Chacun des éléments — mélodique, harmonique et rythmique — va être le prétexte d'un jeu éblouissant, fluide à souhait. Non prévue au programme, c'est la célèbre Pavane de Fauré, prise très retenue, avec une liberté d'approche qui en renouvelle l'intérêt et la séduction (lames frottées à l'archet, par exemple). Pour terminer cette première partie, le Grand tango de Piazzolla est devenu en quelques années un classique du genre. La partie de violoncelle (écrite pour Rostropovitch), transcrite pour le marimba, est un feu d'artifice avec son bouquet final.

Le trio de jazz qui va se charger du deuxième volet est soudé de longue date. Avant de poursuivre une longue tournée, inaugurée ici, les musiciens se sont retrouvés avec bonheur après quelques mois de séparation et ont répété toute la journée.  Fireflies (lucioles) était le titre de l'album publié il y a quatre ans déjà chez Label bleu2.  L'improvisation est constante, la personnalité de chacun s'y exprime de façon originale. L'expression jazzique est richement nourrie de la culture classique de Thomas Enhco. Tout en ombre et en lumière3. On tombe sous le charme, le bonheur du jeu collectif est contagieux. La richesse d'invention, sous une apparente simplicité, cache un langage très élaboré. On sourit, et on adhère, à Gaston, le blues du petit chien, inspiré par la déambulation de l'animal sur le clavier, prétexte à de savoureuses variations, à You're just a ghost, de tonalité plus sombre, dont l'écriture relève d'un baroque revisité : la basse et la percussion réalisant une sorte de basse continue sur laquelle le piano semble improviser.  Pour une reprise d'Eclipse, le finale réunira cette fois les quatre musiciens, sans compter les multiples rappels, malgré un programme des plus généreux.

Thomas Enhco se dit séduit par l'acoustique exceptionnelle de l'auditorium. Promu fraîchement Chevalier du Tastevin, ainsi que Vassilena Serafimova, il esquisse le ban bourguignon, nous dit sa joie de jouer ici et promet son retour, de quoi combler un public ravi.

Eusebius
28 novembre 2016

1. De multiples pièces sont visibles sur You Tube, d'une qualité sensiblement inférieure à ce à quoi nous avons eu droit.

2. Chris Jennings est ici remplacé par Jérémy Bruyère, excellent contrebassiste lui aussi.

3. Les éclairages, sobres, se modifient à chaque changement et renouvellent le cadre. L'amplification est judicieusement dosée et offre un confort acoustique, précis, au dosage idéal.

Eusebius, eusebius@musicologie.orgPlus sur Eusebius.

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Mardi 12 Décembre, 2023