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Une « Tosca » en clair-obscur à l’opéra de Marseille

 

Carlos Almaguer (Scarpia). Photographie © Christian Dresse.

Marseille, 12 mars 2015, par Jean-Luc Vannier ——

Une nouvelle production de Tosca, l’un plus célèbres opéras de Giacomo Puccini créé au Théâtre Costanzi de Rome le 14 janvier 1900, est toujours un événement. La cité phocéenne présentait, mercredi 11 mars, la première d’une version mise en scène par Louis Désiré avec une note d’intention particulière : « il s’agissait du dernier jour, des dernières heures des quatre personnages principaux. Vivre ses derniers instants sans le savoir, a ouvert mes yeux sur une vision particulière ». D’où la volonté du metteur en scène de faire évoluer les protagonistes dans des ambiances lumineuses de clair-obscur signées Patrick Méeüs. Lesquelles accentuent l’inquiétante pénombre des décors glaçants : « Comme si le présage de sa puissance – celle de l’abominable Scarpia – allait tout écraser ». Les rutilants costumes censés magnifier la puissance de l’Eglise dans le superbe chœur « Adjutorium nostrum » du premier acte cèdent la place à des sinistres chasubles gris-bleus, le cabinet privé de Scarpia au second acte baigne dans l’obscurité et Mario Cavaradossi chante à l’acte III son désespoir entre les grilles serrées d’un cachot. Seule l’ingénieuse présence d’un balcon à l’acte II apporte, comme un filet d’air frais dans l’été irrespirable de Rome, un mince espoir salvateur. Louis Désiré gagne effectivement son « pari d’une Tosca cinématographique, comme vue par une fenêtre indiscrète, avec de soudains gros plans et des mouvements montrant plusieurs angles du même endroit ». Certes, le concepteur avait déjà travaillé sur une Tosca niçoise sous la direction du metteur en scène Paul-Emile Fourny en janvier 2008. Peut-être regretterons-nous qu’autant d’investissements féconds pour un éprouvé d’atmosphère puissent s’exercer aux dépends du dynamisme scénique : un reproche que nous avions déjà formulé pour son travail dans Un ballo in maschera à Monte-Carlo en janvier 2010.

Adina Aaron (Tosca), Giorgio Berrugi (Mario Cavaradossi), Carlos Almaguer (Scarpia). Photograpahie © Christian Dresse.

La réussite de la direction musicale ne nous surprendra guère : Fabrizio Maria Carminati avait brillamment dirigé cette œuvre à l’opéra de Nice, s’essayant pour la première fois en 2008 au répertoire de Puccini, lui qui était plutôt un habitué de Donizetti. Outre une bonne coordination des chœurs et d’un orchestre de l’opéra dont les percussionnistes ont envahi jusqu’aux loges latérales, les rythmes sont équitablement tenus et les nuances interprétatives s’adaptent efficacement aux artistes. La distribution appelle en revanche des remarques contrastées. Le rôle-titre déçoit : que s’est-il donc passé avec la soprano américaine Adina Aaron, réputée « en grande forme » lors de la générale et qui, malgré de très belles envolées dans les médiums, bloque systématiquement dans cette première sur ses notes aiguës qu’elle rend voilées ? Elle réduit l’intensité lyrique de son « al mio dolor / d’amor » pendant son duo avec Mario à l’acte I lorsqu’elle implore son pardon pour sa jalousie obsessionnelle. Elle manque son puissant contre-ut au deuxième acte dans sa confrontation avec Scarpia et compense la surprenante faiblesse de son « vissi d’arte, vissi d’amore » par une note filée terminale. Elle reproduit d’ailleurs un « symptôme » identique lors de son ultime duo avec son amant au troisième acte. La presse spécialisée a récemment rendu compte de son interview polémique au Chicago Sun Times sur « les chanteurs qui ne font pas d’exercice…si on prend trop de poids…si l’on n’est pas en forme ». Sa silhouette très amaigrie interroge : ses longs joggings quotidiens sur la Canebière nonobstant les représentations et les contraintes auto-imposées de son régime alimentaire auraient-ils eu des conséquences néfastes sur son équilibre vocal ?

Carlos Almaguer (Scarpia), Adina Aaron (Tosca). Photographie Christian Dresse.

Ses deux partenaires masculins se révèlent, en revanche, irréprochables. Giorgio Berrugi campe un admirable Mario Cavaradossi : la tonalité chaude, très intimiste, de ses accents lyriques accentue la fragilité tourmentée du personnage. En témoignent son « Il mio solo pensiero, Tosca sei tu ! » au premier acte où le ténor romain privilégie l’insouciante légèreté de l’artiste amoureux tout comme son « E lucevan le stelle » de l’acte III se termine par un « E non ho amato mai tanto la vita ! » pétri d’un cruel désespoir et ponctué par une ovation légitime du public marseillais. Dans l’interprétation de Scarpia, Carlos Almaguer n’est pas en reste dans l’estime des mélomanes : le baryton mexicain conserve l’indispensable puissance vocale — graves bien charpentés, projection imperturbable et modulations fièrement maitrisées — qu’il sait agrémenter, soit des justes intonations sadiques au premier acte où sa ruse perfide  « Scarpia a lâché le faucon de la jalousie » domine aisément les chœurs, soit des perverses délectations libidinales au second « Si je dois trahir la foie jurée, je veux un autre salaire ». Mentionnons pour terminer les bonnes prestations de Jacques Calatayud (Le sacristain), d’Antoine Garcin (Angelotti) et de Loïc Félix (Spoletta). Lesquels, avec la Maîtrise des Bouches-du-Rhone, justifient l’enthousiasme pour cette Tosca dont l’œuvre, comme le rappelle Louis Désiré, « n’a jamais cessé de plaire depuis cent quinze ans ».

Carlos Almaguer (Scarpia), Adina Aaron (Tosca). Photographie Christian Dresse.

 

Marseille, le 12 mars 2015
Jean-Luc Vannier

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