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Un rendez-vous qui compte : Schubert prend ses quartiers à Dijon

 

Anne Gastinel, Philippe Cassard et David Grimal. Photographie © Thomas Goujon.

Dijon, Auditorium, 5 novembre 2015, par Eusebius ——

Le Bisontin et la Lyonnaise ont rejoint David Grimal — en résidence depuis 2008 à Dijon — pour ouvrir d'exceptionnelles schubertiades1 par les deux trios avec piano, parmi les œuvres les plus jouées2 d'un Schubert au faîte de sa puissance créatrice. Schumann, qui les appréciait, se plaisait à souligner leurs différences, voire leur opposition : « Passif, féminin, lyrique » (D. 898) et « actif, masculin, dramatique » (D. 929). Plus que cet antagonisme, le concert de ce soir est l'occasion de mesurer ce qui les unit profondément, leur structure, évidemment, mais surtout leur langage à nul autre pareil. Le parallélisme, la mise en perspective de chacun des mouvements des deux œuvres sont passionnants à plus d'un titre.

Anne Gastinel, David Grimal et Philippe Cassard, musiciens accomplis, éclectiques, curieux et gourmands sont de grands chambristes. Partenaires réguliers, ils ont la sensibilité pour accorder leur jeu comme s'ils travaillaient exclusivement dans cette formation. Le piano occupe ici une place centrale : c'est lui qui commande, dans la partition déjà, dans l'interprétation aussi. Non point que le violon et le violoncelle soient relégués au rôle de faire-valoir : il sait s'effacer, se faire discret pour permettre à ses partenaires de s'épanouir en pleine lumière. Ces deux trios sont de fait des sonates pour piano-forte avec accompagnement de violon et violoncelle obligés, comme on l'aurait écrit 30 ans auparavant. On connaît et apprécie Philippe Cassard, l'épicurien curieux dont le sens  du partage est tant apprécié, on le savait schubertien3. L'instrument est moderne, mais son toucher est tel que Schubert se serait certainement montré admiratif : la légèreté  des traits ornementaux que l'on croyait propre aux instruments dits d'époque y est aérienne. Simultanément, l'articulation, la puissance du jeu sont magistraux4. C'est, d'emblée, un enchantement : une intelligence exceptionnelle des phrasés, sachant ménager les attentes, des respirations exemplaires, tout chante, avec une émotion contenue et un intense lyrisme. Tous chantent, avec quelles voix ! Trois magnifiques interprètes dans une communion idéale.

Les premiers allegros imposent dans une fusion parfaite un romantisme débarrassé de ses scories : nous sommes chez Schubert, avec toute sa fraîcheur, son chant, son émotion contenue, ses interrogations, sa douceur comme sa véhémence. La dynamique, les couleurs, les oppositions, tout est superbe. Les andante sont des moments de grâce. Fraîcheur, toujours, délicatesse, lyrisme du premier,  avec un goût de terroir idéalisé et une pointe d'humour. Le con moto5 du second conduit avec un art consommé ses progressions, marche inexorable jusqu'à la véhémence et l'épuisement avant son éblouissante et poignante conclusion. Le caractère populaire, dansant des scherzi, trop souvent gommé, prend ici toute sa valeur. Les imitations canoniques du second sont autant de clins d'œil, comme le père Haydn les aimait.  Une vie intense, captivante, dont l'intérêt se renouvelle sans cesse malgré  le cadre convenu. Le bonheur se lit sur les visages. Les finales sont porteurs de joie, d'un sentiment de liberté et de jeunesse. La construction donne toute son évidence au discours musical.

On sort bouleversé : Depuis les plus belles heures du Beaux-Arts Trio et son enchanteur, l'immortel Menahem Pressler — auquel le toucher de Philippe Cassard fait parfois penser —, a-t-on jamais trouvé une telle perfection aboutie, cette plénitude, cette sensibilité, cette intelligence ? Il serait criminel de ne pas fixer de tels moments de beauté pure. Le même programme sera repris en janvier à Toulouse, qu'on se le dise !

En répétition. Photographie © Opéra de Dijon.

Eusebius
5 novembre 2015

1. Artiste associé à l'Opéra de Dijon, Jos van Immerseel fête ses 70 printemps. Il animera deux des trois concerts suivants, consacrés à Schubert, son compagnon de longue date.

2. On se souvient de Barry Lindon de Stanley Kubrick, qui popularisa l'andante du trio en mi bémol majeur.

3. En dehors de ses remarquables Notes d'un traducteur, rappelons son essai publié chez Actes Sud, son enregistrement des sonates (D664, 958, 959, 960), des impromptus, des moments musicaux, de la fantaisie en fa mineur et d'autres pièces à quatre mains.

4. Ainsi le triple forte du célèbre andante con moto (mesures 119 et suivantes) prend-il toute sa valeur, suivi d'un pp admirable. Inouï ?

5. Allant, ni morbide ou lourd et funèbre, travers dans lequel ont sombré certains « grands ».

 

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