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6 mai 2015, par Strapontin au Paradis ——

Quatuor Hagen et Trio Medici : deux concerts contrastés au Louvre

Quatuor Hagen : Lukas (violon), Veronika (alto), Clemens Hagen (violoncelle), et Rainer Schmidt (violon). Photographie © Harald Hoffmann.

Deux concerts de musique de chambre au Louvre deux jours d'affilée est un luxe, d'autant que les programmes étaient variés, et l'approche musicale des deux formations contrastée.

Le 29 avril nous avons entendu la Quatuor Hagen dans les quatuor no 17 en si♭ majeur K 458 « La Chasse » , no 18 en la majeur K 464, no 19 en ut majeur K 465, « Les Dissonances », de Mozart.

Le lendemain 30 avril, le trio Medici interprétait le trio en mi♭ majeur D 897 « Notturno » de Franz Schubert, et le trio en la mineur, opus 50, « À la mémoire d'un grand artiste », de Piotr Ilyitch Tchaïkovski.

Le quatuor Hagen, considéré comme un grand vétéran (il est fondé en 1981), a un vaste répertoire de Haydn à Webern, en passant par Verdi, Wolf et Kodály. Mais ce concert a été entièrement consacré à Mozart, à trois des six quatuors dédiés à Haydn. Mais quel Mozart !

Le sentiment général que nous avons éprouvé avant l'entracte, après avoir entendu « La Chasse » et le quatuor en la majeur, s'est résumé en deux adjectifs : curieux et maniéré. En effet, contrairement à ce qu'on attend pour un quatuor de la période classique viennoise — la beauté d'équilibre formelle et l'élégance « galante » du style—, l'interprétation des Hagen est marquée par des mouvements de tempo inattendus, créés par les durées différentes pour les mêmes notes, à la limite de bon équilibre, et par un temps de respiration trop important cassant quelque peu le rythme.

Par exemple, dans les séries de croches, la première prend une importance, à notre sens, assez démesurée pour se charger d'un appui disproportionné par rapport aux autres, ralentissant la fluidité, créant une élasticité proche de rubato dans le tempo. Cela est particulièrement perceptible dans le menuet des deux quatuors, mais aussi dans les mouvements rapides, à des degrés différents.

Leur Mozart est très loin du Mozart habituellement agréable et gentil, mais n'est-ce pas mettre en valeur l'innovation stylistique soulignée par le compositeur lui-même ? Quoiqu'il en soit, cette densité et cette épaisseur apportent une singularité inattendue, anticonformiste, voire rebelle. Cela ne choque apparemment personne (aucune manifestation de mécontentement de la part des auditeurs), il s'agit là d'une probable adéquation avec la liberté que cherchait Mozart dans sa vie et son œuvre…  Nous avons adopté cette disposition d'esprit pour écouter « Les Dissonances », dans lesquelles les originalités d'interprétation apparaissaient nettement moins que dans les précédentes pièces… Paradoxe, quand ce 19e quatuor passe pour la plus novatrice des trois œuvres jouées ce soir-là… Ou bien, l'originalité des Hagen s'est noyée dans la partition tout aussi originale de Mozart ?

Nous avons quitté la salle, songeur.

Trio Medici : Olga Kirpicheva (piano), Vera Lopatina (violon) Jérémie Genet (violoncelle). Photographie © D.R.

Le jeune Trio Medici est plus ancien que son actuelle formation fixée en 2013. Il a été fondé initialement par des étudiants du Conservatoire de Moscou, et s'appelait à l'origine Trio Ars. Dès 2005, il remporte de nombreux prix internationaux, telle la demi-finale du célèbre concours d'ARD à Munich en 2007. Mais en 2009, avec le départ de la violoniste Vera Lopatina pour le Conservatoire national supérieur de Paris, le trio cesse ses activités. Puis, en 2013, la pianiste Olga Kirpicheva s'installe, elle aussi, à Paris. Le nouveau trio est alors reconstitué avec le violoncelliste Jérémie Genet sous le nom de Trio Medici. Unique lauréat de l'Académie Ravel 2014, le Trio Medici vient de remporter le 2e Prix du Concours international de musique de chambre Joseph Haydn de Vienne (Autriche) en mars 2015.

Dans « Notturno » de Schubert, les trois musiciens font preuve de très belle harmonie d'ensemble. La tranquillité nocturne de l'interprétation se transforme en une passionnante variété musicale dans Tchaïkovski. Composée à la mémoire de Nicolaï Rubinstein, pianiste, chef d'orchestre et compositeur, frère d'Anton, l'œuvre est dominée par un ton élégiaque (premier mouvement) et pathétique (Finale). Le thème et ses variations exigent une haute virtuosité, notamment pour le piano, qu'Olga Kirpicheva exécute avec clarté, évitant intelligemment la surexposition et cède volontiers au violon et au violoncelle au moment venu. Le violon de Vera Lopatina a une sonorité boisée plutôt sobre mais qui porte. Ses cordes ne s'expriment pas avec une brillance éblouissante mais leur résonance posée et réfléchie est très bien adaptée à cette pièce, même aux passages les plus virtuoses. Parlant de virtuosité, celle de Jérémie Genet est évidente, il a une surprenante facilité dans son jeu, renforcée d'un grand lyrisme. Il est dommage qu'il soit parfois couvert par les deux autres instruments, peut-être une question d'acoustique propre à la disposition scénique ou au lieu.

Toujours est-il que leur interprétation, à la fois dynamique et lyrique, d'une grande maturité, n'est empreinte d'aucune tentative de fausse originalité. Malgré son jeune âge, le Trio Medici, dont nous allons suivre l'évolution avec attention, est une formation qui va sans aucun doute s'imposer au  plan international.

Strapontin au Paradis
6 mai 2015

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