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Le tout de la musique selon Daniel Barenboim

Barenboim Daniel, La musique est un tout : Éthique et esthétique (traduit de l'italien par Laurent Cantagrel). Fayard, Paris 2014 [176 p. ; ISBN 978-2-213-67808-5 ; 15,00€]

28 février 2015, par Jean-Marc Warszawski ——

Voici bien des mois que je côtoie ce livre. Je l'ouvre, je le lis, je le referme. Il est dans mon sac, dans ma valise, je le fais lire à mes amis. Tout y est tellement évident et pourtant si dérisoire. Je veux dire que c'est une telle goutte d'eau claire dans un océan d'horreur et de pessimisme qu'on se demande si ce n'est pas à côté de la plaque.

Daniel Barenboim est un monstre sacré du monde de la musique contemporaine, de la musique en « permanence contemporaine ». Il a derrière lui une carrière hors du commun, comme pianiste puis comme chef d'orchestre. Mais comme tout paraît simple avec lui, c'est un mythe qui ne fait pas de vague. Il marche sur l'eau. On se souvient toutefois de l'esclandre de 1989, où l'art fut terrassé par la politique (Mitterrand) et les marchands (Bergé), et de son limogeage à la moscovite de la direction de l'Opéra Bastille (comme Hugues Gall se débarrassera de Myung-Whun Chung un peu plus tard). L'ombre des très grands est parfois insupportable pour les moins grands.

Dès la parution du livre, qui regroupe des articles rédigés sur plusieurs années, l'Agence France Presse a parlé d'une livre confus (parce que l'AFP diffuse aujourd'hui plus d'opinions que d'informations), idée reprise par le Figaro et certainement par d'autres,  l'élément de langage étant lancé. Or, la clarté et la cohérence de la construction intellectuelle de Daniel Barenboim sont au contraire remarquables, certainement pas décousues. C'est qu'on aura compris le titre de l'ouvrage de travers, « La musique est un tout ». Ce n'est pas que la musique reconstruit le monde comme un récit, elle est un élément du mouvement du monde, et en ce sens, une représentance de ce mouvement. Ce n'est pas tant ce que raconterait la musique qui compte, mais la manière dont on la fait et dont on la joue.

Le célèbre orchestre symphonique créé avec  Edward Said en 1999, le West-Eastern Divan Orchestra, est de ce point de vue une grosse affaire. Dans l'effrayante mer de haine provoquée par la spoliation des Palestiniens et la difficulté d'Israël à se constituer en vraie nation (la religion et la théocratie ne sont pas de bons éléments pour ce faire), la position de Barenboim est courageusement lucide, et sous son autorité morale d'une grande aide pacifique. On peut imaginer les pressions exercées sur les jeunes musiciens israéliens et palestiniens apatrides qui se mêlent en cet orchestre. Mais que représente ce bel exercice pratique de bon sens et de paix dans la violence du monde ?

Au moment où je tournais et retournais ce livre me demandant quoi en écrire, l'armée israélienne détruisait Gaza maison par maison, écoles, hôpitaux sans se soucier de la population, sous prétexte que des terroristes creusaient des tunnels… On nous a servi ces mêmes balivernes pour le Vietnam, pour l'Algérie,pour l'Irak, même pour la Résistance française. Le West-Eastern Divan Orchestra paraît une arme puérile face au rouleau compresseur médiatique, au chœur des crédules et à la puissance armée qui noient sous leurs flots le bon sens : il faut une nation aux Palestiniens et le départ des colons israéliens au-delà des frontières de 1967, ou alors on va s'étriper jusqu'à provoquer la fin des temps. Mais Daniel Barenboim le reconnaît, son orchestre n'est pas un orchestre pour la Paix, car pour réaliser la paix il faut d'autres moyens.

Pour Daniel Barenboim, il s'agit avant tout d'un conflit humain entre deux peuples, qui ont ou s'estiment un droit légitime à vivre sur les mêmes terres. Sa voie est alors celle de la dignité humaine, non pas de la paix, mais de l'apaisement.

Ce point de vue est soutenu par le rapprochement qu'il fait entre éthique et esthétique, car pour lui, la musique est un élément essentiel de l'éducation elle est « une partie essentielle de la dimension physique de l'esprit humain ». Il oppose les tactiques à courte vue (en politique et en musique) aux stratégies de longue durée.

Il explique et défend aussi le génie dramatique de Richard Wagner qu'on ne peut  pas assimiler à son antisémitisme, ce qui serait « donner raison à Hitler ».

D'autres sujets sont encore abordés : ses débuts, sa découverte de l'opéra, celle de l'extermination des Juifs par les nazis, sa conception de Don Giovanni, de Carmen, de la musique de Verdi, son admiration pour Peter Ustinov ou Fischer-Dieskau.

Si les sujets son divers, comme ceux rencontrés dans toute vie, et là une prodigieuse et longue carrière, la pensée qui les traverse et les analyse sont d'une cohérence lumineuse qui rend tout à l'évidence.

Il reste qu'on pourrait insister sur les dangers de la théocratie, qu'une religion ne peut faire nation et que le « peuple » juif est une fiction faisant obstacle à une notion claire de peuple israélien. Un fidèle n'est pas nécessairement un citoyen, et un citoyen n'est pas nécessairement croyant.

D'un autre côté, si la manière de faire la musique est dans le mouvement du monde, la figure de chef d'orchestre omnipotent incarné par Daniel Barenboim (certes monarque très éclairé) n'a plus, enfin on le souhaite, un grand avenir. On pense à la prémonition de Prova d'orchestra, film de Federico Fellini de 1978 et aux expériences actuelles réussies d'orchestres sans chef, ni dieu ni maître !

Jean-Marc Warszawski
28 février 2015

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