musicologie

Opéra de Dijon, Auditorium, 22 février 2015, par Eusebius ——

Il Barbiere di Siviglia, ou Figaro racole

Photographie © Frédéric Iovano.

Ce Barbier est connu, pour avoir été donné sur bien des scènes1 depuis sa création lilloise, retransmise à la télévision. Comme à son habitude, le parti pris de Jean-François Sivadier est de s'affranchir du livret et des didascalies pour « faire un spectacle un peu fou…en enlevant tous les clichés ». Son métier est sûr, efficace et le public en redemande. En effet, l'ennui est banni par une scène bondissante, animée, truffée de gags à l'effet garanti. L'action est transposée en un temps incertain, traduit par des costumes relevant de notre siècle mais aussi de celui de l'action. L'ouverture commence sur un plateau quasi vide de décors, avec un Figaro qui commence à chauffer son public et à raser son client barbouillé de la crème Chantilly d'une pièce montée. Le mariage n'est-il pas l'enjeu de la comédie ? Découverte surprenante pour une large part du public peu familier de l'opéra, certes, mais procédé maintenant sans grand intérêt pour ceux qui le fréquentent régulièrement. Le décor, ingénieusement conçu, se construira au fil des scènes par des dispositifs de stores montant aux cintres, avec un minimum d'accessoires : une porte de velours, quelques chaises, un trapèze, quelques végétaux… servi par des éclairages bienvenus, qui contribuent également à  nous plonger dans l'univers du music-hall ou de la comédie musicale.

C'est là que nos interrogations prennent tout leur sens. Drainer vers l'opéra le plus grand nombre de spectateurs est éminemment louable, mais est-il besoin de dénaturer l'ouvrage à ce point pour y parvenir ? Ce grand show ne manque pas d'attraits, mais par sa simplification délibérée, renonce à ce qui fait le charme de l'opera buffa. L'argent, le lucre gouvernent le monde. Aucune autre critique sociale, à moins qu'on lise le rôle de Rosine comme prémonitoire de l'émancipation féminine. Le Comte est élégant et riche, mais surtout pas aristocrate, Beaumarchais et Sterbini oubliés, gommée l'opposition des générations (Bartolo, Basilio, Berta, d'une part et Almaviva, Rosine et Figaro de l'autre), on rit, mais la fraîcheur et l'émotion sont désespérément absentes.

Photographie © Frédéric Iovano.

.Ainsi, les musiciens ambulants qui, sous la direction de Fiorello, chantent la sérénade sous le balcon de Rosine (un trapèze sur une porte de cirque) sont-ils des loubards (choristes dépourvus d'autre instrument que leur gosier) avides d'argent. On fume, on boit. Au finale, Rosine quitte sa robe pour enfiler celle de mariée, Le Comte a tombé la chemise et se trouve en débardeur. Pourquoi pas, si cela était porteur de sens ? La lecture semble gratuite, toujours drôle, jeune, gaie. On ne demande pas au public d'y croire un seul instant2 : la mise en scène prive les chanteurs d'âme. Tout est artifice et le revendique. Peut-être Rossini eut-il apprécié s'il avait vécu de nos jours. Personnellement, j'en doute.

Les acteurs sont admirables, déjà par leur jeu. Réglée au millimètre, leur direction n'appelle que des éloges. La plupart ont déjà chanté les précédentes productions. La prestation du Figaro d'Armando Noguera mérite à elle seule d'assister au spectacle : un beau baryton, agile, souple et énergique, dont l'émission et le jeu s'accordent idéalement à cette mise en scène. La Rosine d'Eduarda Melo convainc moins. C'est bien pour un mezzo, et non pour un soprano que le rôle est écrit. Nous n'avons pas la rondeur requise, ni le sens donné à l'ornementation, techniquement réussie. Almaviva est Taylor Strayton, élégant ténor à la voix longue et séduisante. Le Basilio de Deyan Katchtov est sonore (la calumnia !), bien timbré et solide. Tiziano Bracci campe un Bartolo efficace, à l'articulation exemplaire. Jennifer Rhys-Davies, Berta, doit son succès davantage à son jeu comique qu'à son émission fatiguée. Les chœurs sont remarquables. Ils ont été préparés par Emmanuel Olivier, qui, dans la fosse, tient le pianoforte Neupert. Il en use avec beaucoup de charme et de fantaisie.

Photographie © Frédéric Iovano.

Les ensembles, du tohu-bohu du finale du premier acte à la fin du second, sont peut-être ce qu'il y a de plus réussi musicalement. Antonino Fogliano, rossinien reconnu3, aborde l'ouvrage avec une solide expérience malgré sa jeunesse. Il nous dit avoir eu  beaucoup de plaisir à travailler avec l'Orchestre Dijon-Bourgogne. Sa direction traduit son métier très sûr de grand chef lyrique : une attention permanente au chant, à l'équilibre sonore, avec une dynamique constante qui s'accorde parfaitement au rythme imposé par la mise en scène. L'orchestre ne démérite pas et sait tenir les tempi endiablés, pousser les crescendi requis, même si l'acidité, le piquant, l'articulation demeurent parfois en-deçà des attentes.

Un spectacle tonique, divertissant que ce Barbier quelque peu racoleur et infidèle à Rossini, mais le public est ravi 

Eusebius
25 février 2015

1. créée en 2013, cette coproduction de Lille, Caen, Limoges, Dijon et Reims rencontre partout un succès populaire.
2. tout comme l'inévitable orage orchestral, que Rossini voulait démonstratif, et dont la traduction nous paraît bien pâle.
3. on lui doit nombre de réalisations et d'enregistrements de référence, notamment le DVD du Barbier de Séville enregistré à La Fenice de Venise en 2008.

Photographie © Frédéric Iovano.


rectangle acturectangle biorectangle texterectangle encyclo

logo grisÀ propos - contact |  S'abonner au bulletinBiographies de musiciens Encyclopédie musicaleArticles et études | La petite bibliothèque | Analyses musicales | Nouveaux livres | Nouveaux disques | Agenda | Petites annonces | Téléchargements | Presse internationale| Colloques & conférences | Collaborations éditoriales | Soutenir musicologie.org.

paypal

Musicologie.org, 56 rue de la Fédération, 93100 Montreuil. ☎ 06 06 61 73 41.

ISNN 2269-9910.

cul_1501

Lundi 15 Avril, 2024 23:07