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Paris, Musée du Moyen-Âge, 6 février 2015, par Jean-Marc Warszawski ——

Discantus chante Saint-Jacques-de-Compostel en plein Moyen-Âge parisien

La salle des sculptures de Notre-Dame au musée du Moyen-Âge de Paris est de bon augure. Elle nous dit d'abord, avec ces œuvres mutilées, cassées, abîmées, les injures du temps qui passe, les intempéries qui effritent la pierre, les architectes occupés à faire du neuf indifférents aux témoignages du passé, les révolutionnaires obsédés par les symboles de l'Ancien régime haïs des têtes couronnées, les marchands de pierre qui firent avec ces statues des remblaiements de fondations, miraculeusement mises à jour.

Ensemble Discantus Ensemble Discantus, Musée du Moyen-Âge, Paris, 6 février 2015. Photographie © Discantus.

La véritable histoire d'une œuvre d'art comprend aussi son vieillissement, sa dégradation, sa disparition,  son oubli ou sa perte de fonction première. Après on la réhabilite dans d'autres histoires : témoin pour les historiens qui racontent comment c'était, objets curieux, étonnants, admirables ou habilités à représenter quelque chose du savoir passé pour les musées, voire objet de vénération, comme ce piano ayant appartenu à tel grand musicien qui est pourtant un piano de série pas plus remarquable qu'un autre piano.

En fait, quand on restaure un objet du passé, qu'on désembitume un tableau, qu'on joue un compositeur tombé dans l'oubli, on ne fait pas de l'histoire, on arrête au contraire l'histoire, on la lifte, on la botoxe, on fabrique des objets d'un culte voué la permanence du génie humain, à la capacité universelle de produire du beau, et à jouir de cette beauté immanente qui traverse les siècles dans des formes les plus diverses. C'est une belle activité.

Mais pour la musique que ces statues écoutaient, sans se laisser aller à une émotion à fendre pierre, il n'y a pas même de bouts à exposer ou à recoller : la tradition orale est perdue depuis longtemps, et les neumes, ces graffitis rajoutés au texte, ne sont pas à l'origine des traces de musique, mais le signe d'une volonté de sacraliser le lutrin du chantre (connaissant pas cœur son répertoire), par un livre reflet du Livre (sacré) de l'officiant. Leur transformation en notes de musique repose sur des spéculations de spéculations qui ne trouveront jamais  confirmation à cause du vide documentaire. Il y a encore des images d'instruments, gravées dans le bois ou dans la pierre, voire à fresque ou autre support. Mais où sont les modèles ayant servi, parfois (à quel degré ?) avec fantaisie,  aux plasticiens ?

Brigitte Lesné,Brigitte Lesné, directrice artistique de Discantus, chanteuse et multi instumentiste. Photographie © Philippe Matsas.

Les musiciens qui veulent rendre hommage aux beautés musicales du Moyen-Âge (temps qui comme tous les autres ne manque pas de génie), ont pour eux leur imagination et les modèles sonnants issus du plain-chant recodifié essentiellement pas les moines de Solesmes  au XIXe siècle, et un corpus traditionnel relevé à une époque où on peut les estimer d'une ancienneté non polluée.

Bien évidemment, ce n'est pas pour la foule statuaire en ruine de la « Salle Notre-Dame », d'ailleurs n'en doutons pas, aux oreilles calcifiées et aux cœurs de pierre, que le magnifique Discantus a chanté et musicanté. Mais pour un public en chair sur les os, nombreux (pas tant en fait pour Paris capitale du monde et de France), séduit dès les premières modulations, si on en juge par son silence de pierre (décidément) y compris entre les premiers morceaux, se laissant aller aux applaudissements par la suite, brisant à chaque fois le véritable enchantement de ce concert.

On comprend — là on, fait de l'histoire — la crainte que des autorités ecclésiastiques du Moyen-Âge nourrissaient à l'égard du charme enjôleur des voix féminines, leur préférant celles angéliques des enfants, celles symboliques des castrats, ou l'aigu sans harmoniques des officiants. Six belles voix différentiées, ici plus puissante, là plus acidulée, ici plus ronde, là plus veloutée,  ici la chaleur d'un timbre mezzo plus chaud, se partageant les soli, les repons, les unissons les contrepoints, dans des dispositions spatiales variées utilisant toute la salle.

De belles voix, projetées dans leur simplicité avec grand art, une exécution tout en délicatesse et précision, sans excès moyen-âgiste ou folklorisant, y compris dans les parties  instrumentales. Du presque minimalisme aux effets légers mais efficaces, ou plutôt une utilisation raffinée du silence.

L'utilisation des cloches (ou clochettes) à ton, qui servaient à indiquer l'intonation aux offices, comme véritable instrument mélodique réparti entre les chanteuses, est une belle idée musicale assumée, réussie, auditivement sensuelle.

Ensemble DiscantusEnsemble Discantus, Musée du Moyen-Âge, Paris, 6 février 2015. Photographie © Discantus.

Discantus, dirigé par Brigitte depuis une vingtaine d'années et une quinzaine de cédés, inaugurait un nouveau répertoire, sur le thème du voyage pèlerin, inspiré par le Codex Calixtinus ou Liber Sancti Jacobi (Livre de saint Jacques ou des miracles de saint Jacques), compilation, qui ne doit rien au pape Calixte II du tiotre, mais tout à Aymery Picaud, un moine de Parthenay au XIIe siècle. Ce livre est au centre de la liturgie et du pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle (où il est d'ailleurs conservé). Brigitte Lesné a également puisé dans le Livre vermeil de Montserrat, rassemblement des manuscrits de la fin du XIVe siècle, conservé au monastère de Montserrat en Catalogne, contenant des chansons à danser de pèlerins.

Il s'agit d'un répertoire populaire, dévot, mais pas officiant, nourri de naïveté souvent touchante, poétique, offert au public avec un tact et une élégance de rhapsode quelque peu distancié, parce qu'entre les louanges à la Vierge ou au Christ, on y chante aussi des histoires, suscitant la bienveillance, la bonne humeur, mais aussi la compassion et la profonde émotion qui culmine dans la tragique et simplissime chanson La pernette se lève, une version combien plus subtile en conviction,  paroles et mélodie que le « Ne pleeuure pas jeanneee-e-tte, traa déri déri déra déri déri dé-ra » etc. qu'on beuglait enfant, en colonie de vacances, mais surpasse aussi à notre sens la version enregistrée en 1974 par Malicorne (ce n'est pas même comparable), ou encore celle du Poème harmonique en 2001, en comparaison trop folklorisante et sautillante.

 Jean-Marc Warszawski
6 février 2015
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