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27 janvier 2015, par Frédéric Norac —

De bonnes fêtes à l'Opéra-Comique : « Les fêtes vénitiennes » de Campra

Les fêtes vénitiennes. Les fêtes vénitiennes. Photographie © Vincent Pontet.

Ces Fêtes vénitiennes devraient réconcilier avec Robert Carsen tous ceux qui, comme nous, n'avaient guère aimé sa Platée au pays des Bling Bling, ici même l'année dernière. Certes, on reconnaît d'emblée la marque du metteur en scène dans ce groupe de touristes qui envahit dès le prologue la Place Saint Marc et que vient inciter au plaisir le bonhomme Carnaval, un géant rouge à qui François Lis prête sa superbe  voix de basse, avec le renfort d'une Folie provocante et de sa suite aux allures de drag queens. Si l'on peut craindre un moment de tomber dans les excès superficiels de la production de 2014 avec la « mêlée sexuelle » qui conclut le prologue, on est assez vite rassuré sur le ton choisi car, dès la première entrée, il s'avère finalement être plutôt bon — à quelques grivoiseries près — mais Venise, surtout en temps de Carnaval, n'était-elle pas considérée comme un lieu de débauche, voire en 1710, année de la création de cet opéra ballet, comme le capitale européenne de la prostitution ?

Si la ville est omniprésente dans la transcription visuelle de chacune des entrées et le simple mais judicieux décor en trompe l'œil , on ne peut pas dire que la musique de Campra ait beaucoup à voir avec l'Italie. Le Prince de la première, « Le bal », a beau être représenté comme un doge, la deuxième « La sérénade ou le jeu » se dérouler sur une piazzetta avec force gondoles, nous sommes bien ici — le style typique du récitatif à la française, les ornements vocaux et les ritournelles le disent assez — dans l'héritage direct de Lully. Les deux airs (en) italien(s) que le compositeur confie  aux héroïnes de ces deux entrées ou la furlana qui reparait périodiquement ne sont que des figures de style ou des touches d'exotisme comme celles qu'utilisait déjà le surintendant dans Le bourgeois gentilhomme, dans ses comédies-ballets ou dans Psyché.

Les fêtes vénitiennes. Les fêtes vénitiennes. Photographie © Vincent Pontet.

La dernière entrée, du reste, est une délicieuse parodie d'opéra à la française, subtil mélange de pastorale et d'opéra mythologique où le librettiste ajoute de surcroît un effet de mise en abyme et de théâtre dans le théâtre dont Robert Carsen tire le plus grand parti.

La musique de Campra, sans être toujours absolument inoubliable, est remarquablement écrite. Elle donne le meilleur d'elle-même dans les divertissements et les suites de ballet dont l'instrumentation est souvent d'une grande originalité.

Robert Carsen n'est pas toujours très heureux ou consensuel dans le choix de ses chorégraphes. Ici encore, le travail d'Ed Wubbe et du Scapino Ballet Rotterdam reste assez anecdotique mais il s'intègre assez bien car le metteur en scène allège beaucoup le recours à la danse et lui préfère souvent la pantomime. Très réussis sont également les costumes qui concrétisent l'idée d'implanter l'action dans une Venise contemporaine du XVIIIe siècle mais qui n'est qu'un second degré puisque, en dehors des protagonistes, ce sont les touristes du prologue déguisés qui figurent le peuple vénitien. A chaque entrée, sa dominante de couleur et son climat, rouge pour le prologue et pour « Le bal » qui est une pure histoire de mise à l'épreuve amoureuse et d'échange d'identité entre maître et valet très proche de la Cenerentola de Rossini, noir nocturne pour « La sérénade » où un Don Juan au petit pied se fait éconduire par trois de ses proies alliées pour le punir et blanc pour la pastorale finale et ses dieux, ses bergers et ses irrésistibles moutons dansants. On ne vous dévoilera pas tous les gimmicks de cette délicieuse pochade mais elle justifierait à elle seule de courir voir le spectacle.

Les fêtes vénitiennes. Les fêtes vénitiennes. Photographie © Vincent Pontet.

À l'arrivée, la mise en scène conjugue avec beaucoup d'habileté humour et poésie, rêve et ironie, fête et désillusion, dans un très savant équilibre, et ménage une véritable montée en puissance au fil des actes. Carsen et William Christie ont su faire un choix judicieux dans les multiples versions et révisions de l'œuvre et ils ont même inventé un épilogue, utilisant le matériau musical du prologue qui vient conclure le spectacle sur une note contemporaine assez désenchantée.

11  solistes incarnent 23 personnages au fil des 3 entrées avec pour certains deux ou trois rôles. Si quelques jeunes voix paraissent un peu anonymes et petites, on tire son chapeau à l'excellent Marc Mauillon toujours excellent comédien, à Emmanuelle de Negri, à Rachel Redmond, à Marcel Beekman (nettement plus amusant en maître de musique ou en vieux chanteur libidineux qu'il ne l'était l'année dernière en Platée) et l'on réserve une mention toute particulière pour le timbre idéal de suavité et le style remarquable de la haute-contre, Reinoud Van Mechelen, captivant dans le rôle de Zéphyre. Il va sans dire que les Arts Flo, chœur et orchestre, et William Christie sont tout à leur affaire dans cette musique qui leur va comme un gant. Du coup, on a presque envie de dire : « Robert, reviens, tout est pardonné ! ».

Prochaines représentations les 29 et 30 janvier et les 1er et 2 février

Spectacle présenté à Caen les 1er et 2 avril 2015

Repris à Toulouse, Théâtre du Capitole, les 23, 25, 26, 28 février 2016 et à la Brooklyn Academy of Music à New York, les 13, 14, 16, 17 avril 2016.

plume Frédéric Norac
27 janvier 2015
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